« En fait, on se débrouille, on est un collectif, un peu en effectif réduit en ce moment, explique Dean. »
Il m’a vu arriver. Et comme à son habitude, il m’a invité dans la conversation alors que je n’en avais pas envie. Je cherchais juste à tout ranger pour me barrer le plus vite possible et oublier une autre de ces scènes lunaires.
« Et parfois il y a [Nom du narrateur] qui chante. Il touche un peu la batterie et la basse aussi.
— Ah d’accord, rétorque son interlocuteur.
— Ouais, enfin, tu sais j’suis qu’une merde moi, lancé-je avec cette pointe de nonchalance qui avait pourtant de la gueule il y a encore deux ans en arrière ; mais ce soir, mes interlocuteurs n’ont pas compris la blague. En même temps, il n’y avait rien à comprendre, j’ai compris que ce n’était pas drôle. Ce qui a entrainé un de ces silences gênants.
— Ouais. [Nom du narrateur] se débrouille ; il chante comme il joue (je chante comme une merde). Il dépanne quoi. C’est plus un écrivain. A conclu Dean avec un enthousiasme acceptable. »
L’autre n’a pas relevé. J’aurais pourtant aimé. Sa dernière déclarative a signifié que je n’étais pas assez bon pour être invité dans leur cercle fermé de groupe de rock festif de fin de trentenaire avec cet avant-goût de passé. Voilà ce que je représentais pour ce groupe de copains du collectif de musique qu’on a toujours appelé les Charlatans : un simple pion remplaçable qui ramène le matériel sans une once sérieuse de talent ; je n’étais pas pris au sérieux.
Ainsi ai-je été piqué au vif, peut-être parce que je ne suis qu’un gros égocentrique ou parce que ce soir je n’ai pas l’énergie de répondre, pour la bonne et simple raison qu’aujourd’hui maman est morte… ou peut- être était-ce hier. C’est à ce qu’on dit — et d’après des recherches anthropologiques et littéraires — une bonne façon d’attirer les lecteur : ces incipit amenant en une phrase éclair, la conviction nécessaire à l’histoire pour attirer ce dernier dans l’esprit nébuleux de l’écrivain en marche sur les rails branlants et existentiels de sa vie. Bref.
Ainsi n’ai-je pas répliqué. J’ai continué de ranger le matériel et je suis parti comme un voleur.
Je suis rentré chez moi, amer. Je devais prouver une nouvelle fois à personne que je n’étais pas qu’un de ces artistes éberlués raté. Sa phrase, somme toute anodine, m’a rappelé encore une fois que je n’avais jamais rien fait d’extraordinaire dans ma vie. Un simple écrivain de sixième zone.
Je me suis mis devant ordinateur, à moitié endormi, me prouvant que j’écrirais ce roman qui se démarquerait un jour de la masse visqueuse qu’on appelle littérature contemporaine, comme un de ces bons gars qui me ressemble. Je me suis allumé un joint pour l’inspiration, j’en ai fumé un nouveau pour la motivation. Puis un troisième en tentant d’allumer cette flamme intérieure de la rédemption. Je me suis endormi. End of story.
Je me suis réveillé en fin de matinée. J’ai allumé la console, j’ai regardé par la fenêtre. Le décor était si platonique. Une ville endormie qui me répugne, peuplée de bobos fragiles et médiocres. Cette face visible de la planète qui la ramène trop pour être prise au sérieux, qui la joue constamment engagée ; je ne suis pas comme eux. Je ne suis d’ailleurs personne, pas même un modèle pour notre génération d’attardés, bien que je feigne d’être cet artiste engagé, une fois pour booster mon égo narcissique, une autre pour la lever : elle, la nouvelle féministe du soir qui me blessera l’égo une énième fois parce que je n’arriverai pas à la satisfaire et qu’elle n’arrivera pas à s’enticher de ma présence. La réalité est bien plus fade et banale : je ne m’engage jamais, je ne communique jamais mes écrits et jamais personne n’a entendu parler de moi, parce que c’est la première fois que je participe à un concours, me disant que ce n’est jamais assez bien pour moi, me disant par ailleurs que je ne suis pas assez talentueux pour ça ; puis parce que la flemme brûle toute flamme de motivation à chaque fois que je me donne des bonnes résolutions. Mon fil d’écriture est toujours le même, un être bancal qui oscille entre le méta-littéraire et le littéraire raté. Ainsi comprendrez-vous cette histoire en lisant ces fleurettes épineuses et maladives qui suivent.
J’ai joué jusqu’au soir, en oubliant que je devais écrire ; il est plus facile de fuir dans ma propre réalité, voici mon monde. Je développe une certaine addiction aux jeux vidéo et à toute autre substance dopaminisante depuis quelques années et le pire, c’est que ça ne me fait rien du tout. Ma vie n’a rien d’un récit épique, elle n’est qu’un simple lendemain de page blanche, un surlendemain quotidien marqué par l’excès, une panne d’inspiration qui dure depuis huit ans, une vie enfumée par l’illusion du joint euphorique, de cette sensation d’être unique grâce notamment aux jeux vidéo et à travers mon interprétation erronée. Un jour je me suis dit que je serai écrivain. Et puis dix années ont passé. J’ai trouvé un travail pour tenter de ne pas finir dans la mendicité et garder l’ambition de devenir l’artiste qui sommeille depuis toujours en moi et je suis devenu professeur de français contractuel parce que c’est ce qui se rapproche le plus de la littérature. Pourtant je déteste m’occuper de ces petits charognards qui pompent plus mon énergie qu’ils ne m’en donnent parce que ce sont des enfants princes souvent mal élevés par des parents fragiles qui n’ont jamais su qu’il fallait accorder de l’attention à leurs marmots plutôt que de les laisser devant leurs téléphones de merde.
Une transition modeste mais une transition classique faisant guise d’introspection introductive mais qui a au moins l’audace de situer la personnalité de [Nom du narrateur]. Vous comprendrez ainsi que j’écris pour ne rien dire, et j’écris trop. C’est un biais affectif : la peur de l’abandon, un besoin constant d’être compris.
Ainsi ai-je parlé.
J’ai commencé cette nouvelle semaine assassine à enseigner des choses que je n’arrivais pas à transmettre, parce que soyons honnêtes, écrire, les jeunes n’en ont cure. J’ai lutté en m’accrochant à des principes bons pour les jeunes professeurs, animé par je ne sais quoi ; la semaine a passé, entre temps, cela n’a été que le pilotage automatique et chronophage d’une semaine à brasser du vent, à haïr tous les élèves en communauté dans notre salle des profs, à pleurer sur notre condition et à accepter d’être pris pour des cons par nos patrons. Puis j’ai terminé ma semaine en comprenant que les plus jeunes veulent devenir influenceurs. J’ai ainsi eu l’idée de commencer une nouvelle intrigue de roman en expliquant que c’est comme ça que notre société s’est effondrée ; mais même ça, la réalité (ou la raison) a voulu que je n’arrive pas à continuer ce début de naufrage.
Le vendredi saint a sonné et après avoir quitté le collège, je suis parti prendre ma tournée générale au Troubadour. Je suis arrivé en début de soirée, à seize heures quarante-cinq. Il n’y avait personne, sauf les piliers taulards prisonniers de leur situation (et dont je fais bien sûr parti).
Je me suis assis au comptoir. Après avoir écumé la vie dans une première pinte et une deuxième à n’être qu’une statue centrée autour de mon breuvage, pendant que des centaines d’individus s’en sont allés, j’ai décidé de sortir mon carnet et j’ai regardé la vie ! O toi, O la vie ! J’ai tenté d’écrire un poème. Raconter ce qui se passe derrière le rideau, pendant ces nuits de libération. Mais rien ne m’est venu. Rien que le chaos du néant. En y regardant de plus près, les premières têtes d’ahuris, amoureux de la vie que je voyais avaient vraiment la dégaine d’un étudiant lâche et fragile, amoureux des belles lettres ou des belles fesses. Le genre de personne qui a le quart de mon âge — je vous laisse écumer les possibilités arithmétiques. Leur enthousiasme, leur blague, leur attitude m’était étrangère. Je comprenais les enjeux et les codes sociaux, mais j’en suis arrivé à en être rebuté, me disant qu’en fin de compte, ce n’étaient que d’énièmes attardés.
Je suis le fantôme du has-been.
Guillaume, le gérant du bar, a commencé à dix-neuf heures cinquante-cinq et m’a vu attablé. J’ai distingué un air dénigreur dans son regard lorsqu’il m’a reconnu. Il ne semblait pas heureux de me voir. En outre, lui aussi avait la gueule enfarinée, comme moi. Il respirait une certaine lassitude, je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs. Et puis je m’en foutais. J’étais là pour picoler. Il m’a lancé un « ça va ? » cordial et a pris ma commande : une pinte de Chouffe. Je l’ai vidée. J’en ai repris une derechef. J’étais soudain plus joyeux. Un ivrogne est venu me parler. Il m’a demandé « Tu écris quoi de beau ? » Il a souvent l’habitude d’engager une certaine conversation avec le monde, la bonne gueule de l’emploi, la gavroche, les yeux vitreux, les premières apparitions des veines sur les pommettes. Mais il était mal tombé. Je lui ai répondu très cordialement parce que je détestais le conflit puis j’ai esquivé ses questions en répondant avec un implicite qui signifiait : « fous moi la paix. » Il est très vite parti et j’ai continué mon aventure de taulard prisonnier de cette inspiration fantôme en tentant de trouver un sursaut de vie dans une mousse furibonde. Ce qui est très vite venu en moi, c’est cette énergie vorace et cette illusion d’ivresse qui me faisait croire que j’étais exceptionnel, alors que, soyons sérieux, je ne suis qu’un ivrogne de plus, ce soir-là.
J’ai repensé à ce qu’avait dit Dean. Je me suis senti de nouveau meurtri. « Moi, je ne suis qu’un simple dépanneur ? » J’ai encore voulu montrer mon côté revanchard, montrer que je n’étais pas qu’un simple pion interchangeable. Alors j’ai écrit une poésie pétillante. Je l’ai lue. Je l’ai effacée. End of story. Dean est devenu ce soir-là mon némésis. J’ai pensé à toutes les façons de comment j’aurais pu lui répondre. Il m’est venu des idées excellentes. J’ai haï cette raclure médiocre. J’ai compris que je le haïssais quand j’ai énuméré pas loin de cinq fois le mot abattre avec d’autres de ses occurrences versifiées.
Des petits littéraires de la faculté ont commencé à parler d’écriture, de Baudelaire et de sa charogne de vie. Ils ont animé quelque chose en moi, et je me suis senti dans l’obligation de leur répondre avec verve. J’ai sorti mes grands discours et ai commencé à parler trop fort dans l’espoir de me sentir important. Je me suis mis au piano qui décorait les lieux et pourtant qui ne servait pas beaucoup et j’ai commencé à faire quelques accords chaotiques en tentant de chanter des poèmes que j’avais composés et que j’avais grossièrement appris. J’ai sorti le grand jeu : je jouais faux, je parlais trop fort. Guillaume est venu me voir et m’a ordonné d’arrêter. Je cassais les oreilles aux gens. Alors je me suis arrêté et j’ai repris une bière.
Mon entrée grandiloquente dans la nouvelle heure du soir a eu le mérite d’attirer le regard de deux étudiantes, ayant une certaine appétence pour la putasserie et pour l’aventure avec un trentenaire dans la force de l’âge, regroupées à une table d’étudiants célébrant la fin de semaine, qui se sont mises à émettre des signes avant-coureurs dans ma direction que j’ai tout de suite pris pour des ouvertures. C’en étaient. Elles ont commencé à parler un peu plus fort pour me faire entrer dans leur zone de conversation. Ni l’une ni l’autre n’était véritablement belle. Elles arboraient une dégaine similaire, à croire qu’elles sortaient toutes deux d’un magazine pour hipster déluré voulant se démarquer de la masse visqueuse : elles étaient percées sur chaque centimètre carré de la région nasale, étaient tatouées jusqu’en dessous de la jugulaire et auraient pu entrer un petit plug anal d’un diamètre inférieur à trois centimètres dans les lobs de leurs oreilles. Heureux de cette opportunité, je me suis lancé avec un certaine enthousiasme à l’entreprise, me rappelant mon vieux dicton quand j’avais encore de la popularité et que j’avais encore un peu de cheveux : dire oui à toutes celles qui disent oui.
« Tu casses souvent les oreilles des gens le vendredi soir ? » ou quelque chose dans le genre que la plus petite a dû me dire pour l’approche, mais honnêtement on s’en fiche.
L’autre m’a demandé : « C’est quoi ton nom ?
— [Nom du narrateur]. »
Elles m’ont donné le leur puis elles m’ont inclus dans leur cercle. Je me suis assis à côté LGBT+++ sans vraiment savoir si c’était un garçon ou une fille. Mon esprit enfantin désireux de comprendre l’inconnu a pris le dessus et pendant cette partie de soirée à tourner autour du pot avec l’une de ces jeunes étudiantes, je me suis souvent demandé de quel genre il se définissait. Non pas que cela ait une quelconque importance pour l’histoire, ni que j’aie un quelconque besoin de stigmatiser une personne par ma curiosité malhabile mais comme je n’ai jamais rencontré de drag queens hors des cages des boites de nuit gays sur Paris, cela a pu aiguiser mon intérêt. Les intransigeants wokistes n’iront bien sûr pas croire que je suis homophobe, je suis bien trop hédoniste pour être engagé dans des batailles d’identité grégaire.
C’est alors qu’un des étudiants de la soirée a mis discrètement sur la table une pilule étrange en faisant un clin d’œil à l’une des deux filles assise à côté de moi. Cette pilule avait un nom qui m’a échappé avec les enjeux de débauche que je m’étais fixés mais le garçon a expliqué que prendre cette nouvelle drogue de synthèse valait son pesant d’or. J’ai alors voulu entrer dans la partie et me suis acheté mon pesant d’or, certainement deux fois plus cher que sa valeur réelle, mais avec le temps et avec les quelques verres que je m’étais payé, je n’ai pas vraiment su peser le pour et le contre. Les filles ont pris une pilule magique et avec toute la tendresse adéquate, l’une d’elle m’en a déposé une en caressant ma langue au passage. Je me suis senti pousser des ailes.
Puis, je crois qu’on m’a demandé ce quel était mon métier dans la vie. Il est arrivé une heure particulière de la soirée où mon esprit rêveur et de conquête prend le dessus sur ma personne et je me sens souvent dans l’obligation de porter de nouveau ce masque de façade qui ne me caractérise plus vraiment, j’ai dit que j’étais artiste et plus précisément écrivain. On a demandé le titre de mon livre paru. Je leur ai donné. Ils ont lu le synopsis. L’illusion était complète, même pour moi. J’ai montré ma plus belle œuvre picturale que j’eus faite sept ans auparavant, je dois dire que je me sentais pousser des ailes. Exit le petit commis du ministère de l’Instruction publique, reste plus que l’écrivain notoirement brillant. J’ai repensé à ces mots anodins de Dean. L’alcool aidant, j’en ai parlé à l’une des goutteuses de ma glotte. Nous avons longuement parlé de tout et de rien, surtout de rien. Une conversation d’un ivrogne instaurant une piètre vision à une étudiante bien plus jeune que moi ayant encore tous ses espoirs à portée de main.
« Ce mec est une ordure. C’est une mauvaise personne, frère. Tu l’auras un jour. »
Je n’ai pas compris pourquoi elle m’a dit ça. J’ai ensuite pensé au fait que je m’étais fait rouler, que j’avais certainement payé une pilule de viagra et que c’était pour cela que je bandais depuis trois minutes.
Quand tout à coup, il y eut une altercation, dehors. Le videur, Amar, a commencé à séparer deux gars qui se cherchaient. Les deux gars étaient comme moi, en colère, mais eux lâchaient leurs frustrations sur le monde et sur la figure de l’autre. J’ai trouvé ça pathétique. Je suis sorti, grandiose, sous l’œil des projecteurs et j’ai sorti les grands mots en les raillant, quelque peu. Je cherchais les problèmes et j’aimais ça. Ça a eu le mérite de rallumer leur haine alors qu’Amar et Guillaume tentaient de les dégager cordialement. L’un m’a menacé parce que j’ai continué de le narguer. J’ai trouvé ça inadmissible. Alors je l’ai frappé. Il m’a frappé. Il m’a dérouillé. Ils l’ont dégagé. Guillaume a gueulé. Il m’a relevé et m’a mis de nouveau une claque.
« Arrête de foutre la merde, bordel ! T’es vraiment chiant quand t’es bourré. Allez dégage. C’est fini pour toi, ce soir.
— J’ai encore envie de boire une bière.
— Non tu dégages. Tu reviendras quand tu seras calmé. »
Il n’allait pas me virer définitivement. Je prenais au moins deux bières par jour et plus si affinité le vendredi, samedi et dimanche. Je suis parti encore plus blessé par le monde. Les filles m’ont rejoint. Les groupe d’étudiants aussi. Tout ne pouvait pas être parfait.
C’est à cet instant que je les ai perdues. Je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs. Ils ont pris un chemin différent. Je crois qu’il montait vers le ciel ou alors étaient-ils en train de foncer dans un mur et de disparaitre dans des confettis. Mais bon quelque chose de plus incroyable a attiré mon attention. Face à moi, en train de vomir, puis de faire les poubelles, j’ai vu Charles Baudelaire, avec sa mèche cachant sa petite calvitie. Son nez était anormalement long, on aurait dit celui d’un blaireau et ses oreilles ressemblaient à ceux d’un chat. Il avait d’ailleurs une queue. Je me suis approché. Je lui ai demandé :
« Ca va Charles ?
— Ben, oui fraté.
— Pourquoi tu vomis comme ça ? Pourquoi tu cherches dans les poubelles ? »
C’est vrai que faire les poubelles à cette heure-ci, dans un pays où la pauvreté n’existe que pour les cas sociaux était quelque chose d’incroyable. Il m’a répondu qu’il cherchait sa charogne, il avait quelque chose à dire à une « petite » comme il l’a appelée.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, nous nous sommes assis autour d’une table sur le toit d’un des immeubles du quartier (j’eus oublié de dire qu’il habitait sur les toits, il m’a dit qu’il était le dernier des samouraïs) et il m’a appris l’art de l’écriture. Avant je n’étais rien, rien qu’un lâche qui écrivait pour écrire, pour me donner un genre. Mais les Fleurs du Mal sont bien plus qu’un simple recueil qu’on fait étudier à des élèves de lycée médiocres. C’est un néant dans un tout. Alors j’ai compris que je perdais mon temps, depuis dix ans. Je lui ai lu mon poème pétillant que j’ai effacé un peu plus tôt. Il a tout de suite compris que je parlais de Dean, cette larve sans cœur. Il m’a expliqué que ses propos étaient inadmissibles. Il aurait exigé un duel à mort pour sauver son honneur. Ses convictions m’ont parlé si fortement dans mon cœur que je me suis décidé à suivre ses conseils. Il m’a doté d’une arme que j’ai attaché autour de mon poignée. Il m’a dit de faire confiance au crédo des artistes. Rien n’est vraiment art, tout est permis avec l’art. Puis il s’est élancé dans les airs et a fini sa course dans une poubelle au sol. Il est sorti comme si de rien n’était. Alors, j’ai fait la même chose. Je me suis élancé avec la foi d’un tueur. Et je suis moi-même arrivé dans cette poubelle, en vie. J’étais en vie. Je continuais de bander. J’ai aperçu l’une de ces étudiantes délurées et lui ai commencé à la suivre. Mais Charles Baudelaire m’a formellement interdit, me rappelant que nous avions une mission d’ordre cruciale. Cette petite chapardeuse sautillait de portail paillette en portail paillette puis a de nouveau disparu.
Nous sommes arrivés devant chez Dean avec la conviction de la vengeance dans notre cœur. Nous avons entendu du bruit au dernier étage où il habitait. Il avait organisé une fête. Il ne m’avait pas invité. Par je ne sais quel moyen, nous nous sommes téléportés sur la terrasse de son appartement. Il y avait tous ces gens du groupe que j’aimais bien. Personne ne m’a adressé la parole. Pas grave. Charles Baudelaire s’est envolé. Il m’a dit : « Tu connais ta mission désormais. » Alors j’ai cherché ma cible. Je l’ai trouvée. J’avais rêvé de cet instant depuis tout ce temps. J’ai pris le temps d’analyser la situation. Je me suis retrouvé en hauteur à attendre que ce misérable Dean passe la porte de sa terrasse. Je l’ai vu. Je me suis élancé. Ma cible. Cette ordure de Dean. Je lui ai transpercé la gorge. Il gisait au sol, dans une marre de sang. Quand j’ai pris conscience que ma mission était accomplie, ça criait de tous les côtés. Mais je ne me suis pas laissé abattre. J’ai sauté par le balcon. J’ai atterri dans une poubelle, en contrebas. Je me suis enfui. J’ai voulu retrouver Charles Baudelaire. Nous nous étions donnés rendez vous à l’endroit de notre première rencontre. Mais je ne l’ai trouvé. Seul une énième ivrogne qui vomissait de tout son saoul.
Je me suis réveillé au milieu d’une véritable orgie littéraire. Les deux filles dormaient nues autour de moi sur le lit. Des garçons et le LGBT+++ étaient au sol. J’ai eu un très gros mal de crâne et de ventre. J’ai vomi. Mais je me sentais en vie. Je bandais, étrangement. L’un des garçons s’est relevé. C’était Charles Baudelaire.
Je me suis de nouveau réveillé, face à mon écran de télévision, la manette à la main. Ça sentait la beuh affreusement fort dans le salon. Au sol il y avait une de ces étudiantes délurées que j’ai cru rencontrer, je crois, un vendredi. Sur le rebord du lit. Il y avait les Fleurs du Mal.
Je me suis réveillé contre tout attente, dans la ruelle, face au Troubadour. Des restes de vomissure fleurtaient avec mes lèvres. Je me suis levé. J’ai senti un inconfort à mon poignet. Il y avait une lame ensanglantée, rétractable grâce à un dispositif accrochée à ce dernier. Une autre personne titubait, j’ai l’impression qu’elle avait des restes de sang, sur ses vêtements. J’ai cru voir une figure féminine. Elle s’est retournée. J’ai vu accroché à ses oreilles, toute une tripotée de piercings.